La question de la répartition du revenu et la rente différentielle

La seconde question importante pour les économistes classiques outre la question de la valeur est la question de la répartition des revenus dans la société. Ricardo à beaucoup écrit sur le sujet, en prenant là encore les travaux d'Adam Smith comme point de départ. Il expose ses idées dans le second chapitre des principes de l'économie politique et de l'impôt, publié en 1817. Comme dans le chapitre précédent, nous allons présenter rapidement la pensée de Smith avant de voir comment Ricardo se positionne par rapport à elle.

La théorie de la répartition du revenu de Smith

Smith se demandait comment se réparti le revenu de la société entre ses différentes classes sociales. Pour lui la société est divisée en trois classes, chacune possédant un moyen de production : les travailleurs qui apportent le travail, les capitalistes qui apportent le capital et les propriétaires terriens qui ont la terre. Le prix de n'importe quelle marchandise doit pouvoir se décomposer en la rémunération de ses trois facteurs de production : le salaire pour les travailleurs, le profil pour le capitaliste et la rente pour le propriétaire terrien. Pour mieux comprendre ce raisonnement, prenons un propriétaire terrien qui loue sa terre à un fermier capitaliste. Le fermier joue le rôle du capitaliste car il utilise son capital pour acheter des machines et de l'engrais et embauche des ouvriers agricoles pour travailler la terre, qu'il ne possède pas (elle appartient bien au propriétaire). Ainsi le propriétaire terrien possède la terre mais ne l'exploite pas, il la loue au capitaliste qui investi pour l'exploiter et devra lui reverser en échange une partie de son revenu. Une fois la production de blé vendue au marché, le capitaliste récupère un revenu issu du produite de la terre. Il doit partager ce revenu en trois parts : une part pour payer le loyer au propriétaire de la terre (c'est la rente), une part pour les ouvriers (le salaire) et une part pour lui comme la rémunération de son capital (le profit). On voit bien avec ce raisonnement que le prix du blé se décompose comme la rémunération du travail, du capital et de la terre. Si le propriétaire terrien décide d'exploiter lui-même sa terre, il peut endosser le rôle du propriétaire terrien, du capitaliste et de l'ouvrier en même temps et recevoir les trois rémunérations associés. Mais en séparant l'utilisation de la terre entre la propriétaire, l'ouvrier et le fermier capitaliste, on met bien en évidence la décomposition du prix du blé en rente, salaire et profit !
Pour les autres marchandises, Smith applique le même raisonnement. Imaginons un capitaliste qui possède une usine de vêtement et embauche des ouvriers. On pourrait se dire que la rémunération de la terre n'intervient pas et que le résultat de la vente des vêtements se partage entre salaires et profits. Mais une majorité des salaires va servir à acheter du pain, qui se fait en achetant de blé qui implique comme on vient de le voir une rente au propriétaire terrien. De façon indirect on retrouve donc bien la rémunération de la terre dans le prix du vêtement. Ce raisonnement s'applique à n'importe quelle marchandise, qui peut ainsi voir son prix se décomposer en rente, salaire et profits qui rémunèrent respectivement la terre, le travail et le capital.

Le prix naturel des facteurs de productions

Smith se pose alors la question du prix naturel des biens. Pour lui chaque bien à un prix naturel, qui ne peut varier à long terme que à cause du progrès technique qui modifie la quantité de travail nécessaire à sa production. A court terme le prix d'un bien peut varier autour de son prix naturel, mais il finit toujours par y revenir. C'est la théorie de la gravitation des prix, car le prix d'un bien revient toujours vers son prix naturel, comme attiré par une force de gravitation. Smith étant un grand admirateur d'Isaac Newton et adoptait lui aussi la démarche empirique (qui consiste à observer la nature pour en découvrir les lois), cette dénomination n'a rien d'étonnant. On peut l'illustrer de cette façon :


La question qui vient naturellement est : qu'est ce qui détermine le prix naturel d'une marchandise ? Comme le prix naturel d'un bien est composé de la rémunération du travail, du capital et de la terre, il faut se demander quel est le prix naturel de ses trois facteurs de productions. Pour le salaire le prix naturel est le salaire de subsistance nous dit Smith. C'est à dire le salaire minimum qui assure à l'ouvrier sa survie. Cette vision du salaire de subsistance comme prix naturel du travail dont on ne peut s'écarter durablement sera partagée par tous les économistes classiques, en particulier Ricardo et Marx. La raison est simple : elle correspond à la réalité de la révolution industrielle. Avec les progrès de l'agriculture au 18éme siècle, l'Angleterre connait un fort exode rural. Cela amène une main d’œuvre nombreuse et bon marché en ville, contribuant à faire baisser les salaires. De plus les progrès en médecine font augmenter la natalité, accentuant encore le nombre de travailleurs. Pour Smith, si le salaire augmente cela entrainera une hausse de la population (car les familles pourront nourrir plus d'enfant) qui entrainera une hausse de la demande de travail et donc une baisse du salaire qui retournera à son niveau naturel. Si le salaire passe en dessous du salaire de subsistance durablement, cela entrainera la famine, réduira le nombre de travailleurs ce qui fera remonter le salaire.

Si Smith nous explique ainsi comment se fixe le prix naturel du travail, il ne nous donne aucune explication claire sur la détermination du niveau naturel de la rente ou du taux de profil naturel. Ricardo va là encore combler les lacunes de la théorie de Smith, en proposant une théorie cohérente et complète de la répartition.

Ricardo complète la théorie de la répartition de Smith

Ricardo va proposer une véritable modélisation de l'économie pour expliquer comment se répartie le revenu. C'est en partie pour cela qu'on le considère comme le premier macroéconomiste car il est le premier à présenter un modèle cohérent qui décrit l'économie et dans lequel tous les éléments se déterminent les uns les autres.

La théorie de la rente différentielle

Ricardo commence par déterminer le prix naturel de la rente. La rente est le prix de la terre, qui dépend de sa productivité. C'est ce que fait payer le propriétaire de la terre au capitaliste pour lui laisser le droit d'exploiter sa terre. Ricardo constate que les terres disponibles ne sont pas toutes aussi productives : certaines sont très fertiles et d'autres moins. On commence par mettre en culture les terres les plus riches car elles demandent le moins d'efforts. Quand il faut produire d'avantage car a population augmente, on cultive alors les terres moins généreuses quand toutes les terres riches sont déjà occupées. C'est cette décroissance de la productivité de la terre qui fait naitre une rente sur les terres mises en culture, sauf la dernière. Ricardo donne un exemple afin de bien comprendre sa théorie. Imaginons trois terres A,B et C qui ont chacune une fertilité différente. Avec le même investissement, la terre A produit 130 tonnes de blé, la terre B en produit 110 et la terre C en produit 100. Quand la population est peu nombreuse on ne met en culture que des terres de type A. Puis la population augmente, ce qui oblige à mettre en culture les terres de type B, moins fertile : la production n'y est que que 110 tonnes. Le propriétaire de la terre A voyant cela va voir son fermier qui exploite la terre et lui réclame une rente de 20 tonnes de blés. Le capitaliste est obligé d'accepté : en payant cette rente il obtient quand même le même profit que son collège qui cultive la terre B mais ne paye pas de rente. Si le fermier qui exploite la terre A ne payait pas de rente au propriétaire cela voudrait dire que son taux de profit serait plus élevé que le taux de profit de son collège qui exploite la terre B. Dans ce cas un autre capitaliste serait probablement prêt à exploiter la terre A en payant au propriétaire une rente en échange, ce que ce dernier accepterait. Tant que le profit de la terre A sera supérieur à celui réalisé sur la terre B, le fermier trouvera un capitaliste prêt à payer une rente supérieur pour exploiter sa terre. La rente est maximale quand le capitaliste gagne la même chose qu'il investisse son capital dans la terre A ou dans la terre B. Ici la rente correspond donc à 20 tonnes de blés, qui est la différence de productivité entre les deux terres.

Si maintenant la population augmente encore, il faut mettre en culture de nouvelles terres à nouveau, celles de type C qui ne produisent elles que 100 tonnes. Si on trouve un capitaliste prêt à cultiver cette terre qui ne rapporte que 100 tonnes pour le même investissement que les terres A et B alors les propriétaires des premières terres vont demander une rente supérieure. Une rente se créer sur les terres de type B : le propriétaire peut exiger jusqu’à 10 tonnes de blés du capitaliste qui exploite sa terre : si celui-ci refuse il trouvera un autre capitaliste prêt à payer la rente avec d'accéder à cette terre. De même sur la terre A la rente augmente aussi de 10 pour le propriétaire. Au final une rente se créer sur chaque terre mise en culture sauf sur la dernière terre, qui est la moins productive. Le montant de la rente sur chaque terre est la différence entre la production de cette terre et celle de la dernière terre mise en culture, à capital investi égal. On a ainsi déterminer comment se fixe le montant de la rente, qui est la rémunération de la terre.

L'impact de la rente sur les salaires

Ricardo remarque avec justesse que l’existence de cette rente détermine de façon indirecte le profit naturel et le salaire naturel. Avec la mise en culture de nouvelles terres moins fertiles le prix du blé augmente. Supposons que les terres de type A produisent cette fois 100 tonnes de blés pour un investissement de 200 unités monétaires, quand celles de type B ne produisent que 50 tonnes pour le même investissement. Produire une tonne de blé sur la terre A demande donc un investissement de 2 unités de monnaie, alors que produire une tonne de blé sur la terre B demande un investissement de 4 unités. Si le prix du blé est inférieur à 4 unités monétaire la tonne, personne ne prendra la peine de mettre en culture la terre B car ça ne sera pas rentable. Il faut donc que le prix du blé augmente et soit d'au moins 4 pour que la terre B soit mise en culture. En suivant ce raisonnement, on voit bien que plus de nouvelles terres moins fertiles sont mises en culture pour répondre aux besoins de la population grandissante, plus le prix du blé augmente. Le prix du blé dépend donc de la quantité de travail nécessaire pour le cultiver sur la dernière terre mise en culture.

La terre, point de départ de la théorie de la répartition de David Ricado

Or nous avons dit que le salaire est principalement composé de blé. Si le prix du blé augmente du fait de la nécessité de mettre en culture de nouvelles terres moins productives, cela fait donc augmenter les salaires. Le salaire étant un minimum de subsistance il est obligé d'augmenter dans la même mesure que le prix du blé, sans quoi les ouvriers mourraient de faim. On a ainsi déterminer le niveau naturel du salaire, qui dépend du prix du blé, lui même dépendant de la rente et des terres misent en culture. Souvenez-nous de l'échelle comparative du chapitre précédent : grâce à cette échelle le rapport entre la rémunération des heures de travail des différents métiers est fixe. Si le salaire des ouvriers augmente à cause de la hausse du prix du blé, le salaire de toutes les autres professions doit augmenter lui aussi afin de respecter l’échelle relative entre le travail des différentes professions. Si une heure de travail d'un bijoutier est égale à deux heures de travail d'un ouvrier alors si l'ouvrier voit son salaire augmenter de 20% suite a la hausse du prix du blé le salaire du bijoutier doit aussi augmenter de 20% pour conserver le rapport entre les deux. Le salaire des ouvriers et de toutes les professions est ainsi déterminé par le prix du blé, qui dépend de la rente et de la mise en culture de terres de moins en moins fertiles.

La détermination des profits et l'état stationnaire

Maintenant qu'on à déterminé la rente et les salaires, il est facile de déterminer la part des revenus qui revient au capital. Le revenu total se décomposant entre rentre, salaire et profits, ce qui reste une fois payé la rente et les salaires est donc le profit naturel. Ricardo prend l'exemple d'un marchand qui vend sa marchandise pour 1 000 livres sterling et qui doit payer 600 de salaires. Son profit est donc de 400 livres. Suite à l'augmentation de la population, le prix du blé augmente et le marchand doit payer 800 livres de salaire au lieu de 600. Mais il ne peut vendre sa production plus cher : les prix relatifs sont fixés par le rapport des quantités de travail nécessaires pour produire deux biens. Ne pouvant pas monter son prix et étant obligé de payer plus ses ouvriers, le marchand est obligé de réduire son profit qui passe de 400 livres à 200 livres seulement. Ainsi, Ricardo met en évidence une relation inverse entre les salaires et les profits : quand les premiers augmentent, les second doivent mécaniquement diminuer. Et vis versa.

Cette relation entre salaire et profit va avoir une importance majeur sur les prévisions que fait Ricardo pour la croissance économique de son pays. Que-ce passe-t-il quand un pays se développe et que sa population et sa production augmente ? Le développement de la population entraine la mise en culture de nouvelles terres moins fertiles, ce qui fait augmenter le prix du blé car ses terres demandent plus de travail pour être cultivées. Le prix du blé augmentant, les salaires doivent augmenter eux aussi sous peine de voir les ouvriers mourir de faim. Ce qui conduit comme nous venons de le voir à la baisse mécanique du profit.
Ricardo anticipe que à long terme, la hausse des prix du blé et des salaires qui va de paire avec l'augmentation de la population finisse pas rendre le taux de profit complétement nul : tout le revenu sera distribué aux rentiers et aux salariés, il ne restera plus rien pour le capitaliste. Alors à ce moment là les capitalistes n'auront plus aucun intêret à investir puisque cela ne rapportera plus rien. L'économie ne pourra plus connaitre de hausse de la production puisque le capital n'augmentera plus faute d'investissement. C'est ce que Ricardo appel l'état stationnaire, un état de l'économie où il n'y a plus de croissance économique ni d'investissement. Cet état stationnaire est inévitable, mais Ricardo à quelques idées pour le retarder. La première d'entre elle est le commerce international, qui permet d'importer du blé moins cher et de retarder la hausse des salaires et l'état stationnaire. Nous allons examiner les théories de Ricardo en matière de commerce international dans notre prochain chapitre.


A retenir :

  • Ricardo reprend la théorie de la répartition du revenu entre rente, salaire et profit de Smith afin de l'améliorer. Il propose un modèle cohérent qui décrit la détermination de chacun de ses revenus.
  • La rente vient du fait de la productivité décroissante des terres. Sur toutes les terres plus fertiles que la dernière terre mise en culture, une rente apparait.
  • La dernière terre mise en culture demandant plus de travail, elle entraine une hausse du prix du blé, car le prix naturel dépend de la quantité de travail nécessaire à la production. Le salaire de subsistance, composé principalement de blé est ainsi déterminé par le prix du blé.
  • Les salaires des artisans, boulanger et autres métiers sont un multiple du salaire de subsistance, du fait de l'échelle comparative du travail. Si le salaire du subsistance augmente du fait de la hausse du prix du blé, tous les salaires doivent augmenter.
  • Les prix relatifs dépendent uniquement des quantités de travail nécessaire à la production des marchandises, ils ne bougent pas quand le prix du blé augmente. Comme les prix restent stable, si les salaires augmente, cela impose mécaniquement au profit de diminuer. Il existe donc une relation inverse entre salaire et profits.
  • A long terme, la demande de nourriture de la population croissante entraine une hausse continue des prix du blés et donc une baisse du taux de profit. Quand le taux de profit est nul, plus aucun capitaliste n'investit dans l'économie, et la croissance s’arrête. C'est l'état stationnaire.

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