Les avantages comparatifs et le commerce international

La théorie du commerce internationale de Ricardo est probablement la contribution pour laquelle il est le plus connu de nos jours. Elle est ainsi encore enseignée au lycée de nos jours et bien entendu dans toutes les facultés d'économie. Ricardo l'expose dans le chapitre VII des principes de l'économie politique et de l'impôt. Là encore Ricardo s'inspire des idées d'Adam Smith, mais il va aller plus loin et l'enrichir de ses réflexions personnelles pour élaborer une nouvelle théorie du commerce international. Cette vision restera en vigueur jusque dans les années 1950 environ, où de nouvelles théories seront développées. On considérer les travaux de Ricardo sur le sujet comme la théorie fondatrice du commerce internationale, ce qui explique l'importance qui lui est encore accordée de nos jours.

La théorie des avantages absolus d'Adam Smith

Comme dans les chapitres précédents nous allons revoir rapidement l'apport de Smith sur le commerce international afin de mieux apprécier les contributions de David Ricardo. Smith réalise une avancée majeur dans les théories du commerce internationale en établissant la théorie des avantages absolues qui va à l'encontre des théories alors en vigueur dans les milieux intellectuels. A son époque, il était courant de penser que le commerce international est un jeu à somme nulle : ce que l'un gagne, c'est ce que l'autre perd. On peut comparer cette vision à un jeu de société comme les échecs ou les dames : il ne peut y avoir qu'un seul gagnant, si un joueur gagne c'est que l'autre à perdu forcement. Il y a donc une opposition forte entre les participants. Cette conception du commerce poussait les contemporain de Smith à voir le commerce comme une guerre commerciale dont un seul pays peut sortir vainqueur, au détriment de son partenaire. L'enjeu de cette guerre commerciale est l'or : le vainqueur du commerce international et le pays qui arrive à accumuler le plus de réserves d'or dans ses caisses. On appelle cette doctrine le mercantilisme. Pour cela, ils conseillaient de limiter le plus possible les importations (pour ne pas enrichir ses partenaires) et d'essayer d'exporter le plus possible (pour s'enrichir soi-même). Le but du jeu était de faire rentrer le plus d'or possible dans les caisses du royaume en exportant plus de produits qu'on n'en importait. On pouvait ainsi faire rentrer de l'or dans les caisses étant donné qu'on en recevait plus de nos partenaires étrangers en payement de nos exportations qu'on ne devait en donner pour financer nos importations.

Smith conteste cette vision des choses et affirme que le commerce international peut-être profitable à tout le monde, même pour un pays qui exporte moins qu'il n'importe. Il explique que si un pays étranger peut produire un bien pour moins cher que chez nous alors en l'important et en le payant moins cher que si on le fabriquait nous-même, on réalise des économies. On peut alors utiliser ses économies pour acheter d'autres produits qu'on n'aurait pas pu acheter sans l'importation et la baisse des prix ainsi provoquée. C'est donc un changement important dans la façon de voir le commerce international, qui n'apparait plus comme source de tension entre les nations mais au contraire comme source d'enrichissement pour tous les partenaires.

Smith considère que chaque nation doit se spécialiser dans la production du bien où est le plus efficace, celle qui lui demande le moins de travail comparé aux autres pays. On parle d'avantage absolu : chaque pays se spécialiser dans la production où il est le plus productif dans l'absolu. Prenons l'exemple de la France et de l'Angleterre et de deux produits : le draps et le vin. L'Angleterre a besoin de 10 heures de travail pour produire une unité de draps et de 12 heures pour produire une unité de vin. En France il faut 12 heures de travail pour réaliser une unité de draps et 10 heures pour une unité de vin. Si on compare l'efficacité absolue de chaque pays pour chacun des produits on voit que la France à un avantage dans la fabrication du vin (10 heures au lieu de 12 heures) et que l'Angleterre à elle un avantage absolu dans la fabrication du drap (10 heures contre 12 heures). D'après la théorie des avantages absolus de Smith, la France doit donc se spécialiser dans le vin et l'Angleterre dans le drap et elles gagneront à échanger ses deux marchandises entre elles.

Illustration : le vin français et le draps anglais.

Montrons que Smith à raison et que l'échange entre la France est l'Angleterre permet à chaque pays d'avoir plus de biens que si il n'y avait pas de commerce entre eux. Supposons que chaque pays dispose de 240 heures de travail qu'il peut répartir entre le drap ou le vin. On suppose que chaque pays souhaite consacrer la moitié de son travail total a la production de chaque bien, soit 120 heures pour le draps et 120 heures pour le vin. En Angleterre on produit donc 12 unités de draps avec les 120 heures de travail dédiées a la production de draps car une unité de drap demande 10 heures de travail. On produit aussi 10 unités de vins avec les 120 heures dédiées car une unité de vin demande 12 heures de travail. De la même manière on trouve que la France produit 12 unités de vin (120 heures/10 heures pour produire une unité) et 10 unités de drap (120 heures/12 unités pour produire une unité). L'Angleterre se retrouve donc avec 12 unités de draps et 10 unités de vin, alors que la France produit elle 10 unités de draps et 12 unités de vin.

Regardons ce qui se passe si chaque pays décide de se spécialiser dans la production où il a un avantage absolu et d'échanger avec l'autre. L'Angleterre se spécialise dans le drap et la France dans le vin. En consacrant l'intégralité de ses 240 heures de travail au drap, l'Angleterre peut en produire 24 unités. En consacrant l'intégralité de son travail au Vin la France peut produire 24 unités de vin. Les Anglais voulant du vin et les Français des draps, ils vont pouvoir échanger ses produits entre eux. Si la France et l'Angleterre se mettent d'accord pour échanger 12 unités de vin Français contre 12 unités de drap Anglais, alors chaque pays se retrouve avec 12 unité de draps et 12 unités de vin. Par rapport à la situation initiale sans échange où elle avait 12 unités de draps et 10 de vin, l'Angleterre gagne deux unités de vin car elle possède 12 unités de chaque bien après échange. De même la France on passe d'une situation où le pays possède 12 unités de vin et 10 unités de draps à une situation où il possède 12 unités de chaque bien. La France gagne donc 2 unités de draps dans la situation de commerce international par rapport à la situation d'autarcie. Chaque pays gagne ainsi 2 unités du bien dans lequel il était le moins compétitif grâce à l'ouverture international, aucun n'est perdant. On a bien montré à travers cet exemple illustratif que les deux pays avaient un avantage commun à échanger et se spécialiser dans la production où ils détiennent un avantage absolu.

C'est donc une petite révolution par rapport aux théories en vigueur à l'époque qui auraient recommandées à chaque pays d'essayer d'exporter le plus possible vers son voisin sans jamais importer. Smith montre que le commerce international n'est pas un jeu à somme nulle et que les deux parties peuvent être gagnante à l'échange contrairement à ce qu'on pensait avant.

La théorie des avantages comparatifs de Ricardo : une version amélioré de la théorie de Smith

Ricardo trouve la théorie de Smith très intéressante, mais il lui trouve une limite : que ce passe-il entre deux pays si l'un dispose d'un avantage absolu sur tous les produits par rapport à son voisin ? Ricardo prend l'exemple de l'Angleterre et du Portugal, avec un avantage absolu dans la production de drap mais aussi du vin pour le Portugal. L'Angleterre est donc désavantagée dans toutes les productions. On peut représenter les quantités de travail nécessaire pour produire chaque bien dans le tableau suivant :

On voit bien que le Portugal est plus efficace que l'Angleterre a la fois pour produire le vin (80 heures contre 120 heures) mais aussi pour produire le drap (90 heures contre 100 heures). D'après la théorie de Smith il ne peut donc y avoir d'échange entre les deux pays. Tout le génie de Ricardo va être de montrer que même dans ses conditions où un pays est plus efficace que l'autre dans toutes les productions, les deux ont quand même un intérêt à échanger. C'est la théorie des avantages comparatifs de Ricardo, qui restera la théorie de base du commerce international pendant de nombreuses années.

Ricardo énonce qu'un pays doit se spécialiser dans la production du bien où il est comparativement le plus avantagé et qu'il existe toujours un bien où un pays est comparativement avantagé. Il est tout le temps avantageux de commercer, quelque que soit la situation, vu qu'il existe forcement un avantage comparatif pour chaque pays ! Montrons cela pour notre exemple de L'Angleterre et du Portugal où il n'existe pas d'avantage absolu pour l'Angleterre qu'il existe bien un avantage comparatif pour chaque pays et chaque bien. Pour trouver dans quelle production un pays est comparativement avantagé, il suffit de procéder d'une façon simple. On choisit un bien (par exemple le drap) et on regarde ce qui se passe pour chaque pays si il décide d'utiliser le travail alloué au drap pour la production de l'autre bien. Combien peut-il obtenir en échange ? Le pays qui peut obtenir le plus de cet autre bien est celui qui a intérêt à se spécialiser dedans. Regardons qui dans notre exemple possède l'avantage comparatif dans le vin. Ici le pays qui obtient le plus de vin en transférant le travail nécessaire à la production d'un unité de drap vers le vin est celui qui détient l'avantage comparatif dans le vin. Une unité de drap demande au Portugal 90 heures de travail et une unité de vin seulement 80 heures. Si le pays utilise les 90 heures de la production de drap pour produire du vin, il peut obtenir 90/80 = 1.125 unités de vins.

Regardons ce qu'il se passe du coté Anglais si on reporte le travail du drap vers le vin : une unité de drap y demande 100 heures de travail et une de vin y demande 120 heures. Si les travailleurs qui sont dans le drap décident de faire du vin, il pourront produire 100/120 = 0.83 unité de vin. Le Portugal peut obtenir 1.125 unité de vin en reportant le travail du drap vers le vin alors qu'a l'inverse l'Angleterre ne peut en obtenir que 0.83 unité. Le Portugal à donc intérêt à se spécialiser dans le vin car c'est là qu'il est le plus compétitif comparativement à l'Angleterre.

L'Angleterre elle à intérêt à se spécialiser dans le vin : si Ricardo nous dis qu'il existe toujours un avantage comparatif pour un pays et que le Portugal est avantagé dans le vin alors forcement l'Angleterre dois en avoir un avantage comparatif dans le drap. Mais on peut aussi le montrer en adoptant le même raisonnement que pour trouver qui avait un avantage à se spécialiser dans le vin. Regardons quel pays à intérêt à reporter sa main d'œuvre du vin vers le drap pour savoir lequel dispose de l'avantage comparatif dans le drap. En Angleterre une unité de vin demande 120 heures de travail et une de drap seulement 100 heures. En reportant ses 120 heures de travail vers le drap, le pays peut obtenir 1.2 unité de drap. Au Portugal une unité de vin demande 80 heures de travail et une de drap 90 heures. En reportant ses 80 heures de travail vers la production de draps, le Portugal ne peut obtenir que 0.89 unité de drap. On voit donc bien que c'est l'Angleterre qui à intérêt à détourner le travail du vin vers le drap et qui à un avantage comparatif dans la production de drap. Ce qui est parfaitement cohérent avec notre premier résultat qui montrait que le Portugal lui doit se spécialiser dans le vin.

La détermination du prix relatif international

Ricardo nous explique comment facilement déterminer la fourchette des prix relatifs entre les biens qui seront échangés. Reprenons notre exemple de spécialisation de l'Angleterre : nous avons montré que en autarcie l'Angleterre peut échanger 1 unité de vin contre 1.2 unité de drap en reportant 120 heures de travail du vin vers le drap. On peut donc dire que le prix du vin est 1.2 unités de drap. Remarquez que le prix relatif est égale au rapport des quantités de travail nécessaires à la production de chaque bien ce qui correspond à la définition des prix relatifs que nous avons vu au chapitre sur la théorie de la valeur. On peut écrire :

C'est à dire :

Le prix relatif du vin exprimé en unité de draps est donc de 1.2 unité de draps par unité de vin. On peut en déduire que l'Angleterre est prête à acheter du vin au Portugal uniquement si pour chacune unité de vin qu'elle obtient elle doit donner au maximum 1.2 unité de draps en échange. Si le Portugal demandait plus, par exemple 2 unités de draps pour une unité de vin alors l'Angleterre trouverait plus avantageux de rester en autarcie de de produire le vin elle même pour moins cher puisque il ne lui faut fabriquer 1.2 unité de drap en moins pour produire une unité de vin.

Pour le Portugal, on avait trouvé que en consacrant le travail nécessaire à réaliser une unité de drap a la production de vin le pays pouvait obtenir 1.125 unité de vin. Le prix du draps est donc de 1.125 unité de vin. Il suffit d'inverser ce prix pour trouver que au Portugal une unité de vin coûte 0.88 unité de drap (0.88 = 1/1.125). Le Portugal est donc disposer à échanger avec l'Angleterre si celle-ci lui offre au moins 0.88 unité de drap contre chaque unité de vin car sinon cela serait plus avantageux de produire en interne au lieu d'échanger.

Le prix d'échange du vin en unité de drap sera donc compris entre 0.88 au minimum et 1.2 au maximum. Le minimum est fixé par le Portugal : il lui faut au moins 0.88 unité de drap par unité de vin qu'il offre à l'Angleterre pour que le commerce international soit plus intéressant que l'autarcie. De même maximum est fixé par l'Angleterre : elle acceptera au plus de fournir 1.2 unité de drap au Portugal contre une unité de vin, au delà il lui serait plus avantageux de produire le vin elle-même. Le prix relatif du vin et du drap sera donc forcement compris dans cette fourchette, entre 0.88 et 1.2 unités de draps contre une unité de vin. Le prix international est donc toujours compris entre les prix relatifs d'autarcie ! Le pays pour qui le prix international est plus élevé que le prix domestique exporte le bien en question et celui dont le prix international est plus faible que le prix domestique importe le bien. Ici le Portugal exporte le vin et l'Angleterre l'importe, et vise versa pour le drap car le prix relatif du drap est l'inverse du prix du vin.


A retenir :

  • Avant Adam Smith, les économistes mercantilistes pensaient que le commerce international était un jeu à somme nulle, et que l'un gagnait ce que l'autre perdait.
  • Adam Smith montre avec sa théorie des avantages absolus que tout le monde peut être gagnant à l'échange. Le commerce devient mutuellement avantageux si chaque pays a un avantage absolu dans la production d'un bien.
  • Ricardo prolonge cette vision avec la théorie des avantages comparatifs : deux pays ont toujours intêret à échanger, même si l'un est dans l'absolu plus productif que l'autre pour tous les types de biens.
  • Le prix relatif des biens échangés qui se fixera lors du commerce international sera toujours compris entre les deux prix relatif d'autarcie.
  • La théorie des avantages comparatif restera le fondement théorique du commerce internationale jusque dans les années 1950, où elle sera complétée par les Nouvelles Théories du Commerce Internationale.



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